AFRIQUE VRAIE

AFRIQUE VRAIE

| Comment définir l'identité musicale d'un peuple?

                     

                                                             Par David MIYENGA MIYENGA 

 

La globalisation artistique est une réalité à laquelle l’on assiste depuis déjà plusieurs décennies, c'est-à-dire bien avant que les termes « mondialisation » et « globalisation » ne fassent partie du vocabulaire commun.

 Cette globalisation est singulièrement accentuée sur le plan musical grâce à la grande transportabilité des supports des œuvres enregistrées et aux autres moyens de propagation particulièrement puissants que sont la radiodiffusion et la télévision.

 

Mais cette globalisation s’apparente sérieusement à une colonisation artistique de l’Afrique par l’Occident, pour un musicologue africain averti; même si le terme « colonisation » ne convient pas vraiment, dans la mesure où cet état de choses n’est pas nécessairement le fait d’une volonté politico artistique de l’Occident. Il s’agit en tout cas d’une forme d’aliénation où la musique africaine véritable disparaît pour laisser la place à une variété musicale largement dominée par l’art musical occidental. Et cet état de choses - faut-il vraiment le dire ?  -   est tout simplement inacceptable.

 

 

Une question se pose donc, naturellement : Comment définir l’identité musicale ?

 

Trois facteurs fondamentaux rentrent en ligne de compte : la dimension modale, la dimension instrumentale et la dimension rythmique.

 

Après  avoir décrypté chacun de ces trois facteurs, on pourra donc déterminer si une musique comme le makossa, par exemple, est véritablement africaine.

 

LE  FACTEUR  MODAL

 

 

Une étude scientifique minutieuse de la musique africaine permet de savoir que celle-ci se joue en mode dit pentatonique, majeur ou mineur, et souvent altéré. Tandis que la musique européenne elle, se joue en gamme diatonique.

 

Un peu d’archéologie musicale permet de constater que les Africains n’ont jamais conçu le mode diatonique majeur, sur lequel se joue la quasi-totalité de la variété musicale africaine actuelle (on peut citer le makossa, le bikutsi, le ndombolo, etc.), et qui vient plutôt d’Europe.

 

 

 LE  FACTEUR  INSTRUMENTAL

 

 

Les Africains ont de tout temps conçu et fabriqué des instruments pour jouer de la musique. Et la différence fondamentale entre les instruments de musique des Africains et ceux des Occidentaux, qui tombe sous le sens, donne aux musiques africaines une exception sonore que seul un idéologue  partisan peut nier.

 

Ainsi donc, peut-on prétendre jouer de la musique africaine en utilisant exclusivement des instruments occidentaux ? La réponse est évidente. C’est pourtant ce qu’ont fait les pionniers du makossa. Les principaux instruments du makossa sont : batterie, guitare, basse et clavier, pour la section rythmique, et, trompette, saxophone (principalement) pour la section cuivres.

 

 

Faut-il rappeler qu’aucun de ces instruments n’est africain ? Même les tambours (très présents dans les studios et les concerts) sont souvent (pour ne pas dire toujours) des congas d’origine cubaine, comme si les Africains ne savaient plus fabriquer même les tambours !

 

 

De même, un européen ne peut pas jouer de la musique européenne en abandonnant tous les instruments européens pour n’utiliser que des instruments africains par exemple. Sinon que deviendront ses accords diminués, ou de septième ? Que deviendra sa gamme mineure harmonique ?

 

 

LE  FACTEUR  RYTHMIQUE

 

 

Il est notoire que le rythme occupe une place importante dans la musique Africaine. Et celle-ci regorge d’une multitude de rythmes qui permettent souvent de la distinguer des musiques des autres continents.

 

Il n’empêche que certains artistes africains passent leur temps à jouer du reggae par exemple, et que l’on appelle cela « musique africaine », sous prétexte que les Jamaïcains viennent d’Afrique.

 

Quant au makossa, tout ce qu’il a finalement d’africain est donc son côté  rythmique dansant ; sinon ?...

 

 

 

ALIÉNATION  OU  NON ?

 

Emprunter des éléments musicaux à d’autres cultures pour les ajouter à sa propre musique, ou même utiliser des instruments venus d’ ailleurs, cela est en soi un enrichissement. Mais l'aliénation commence dès qu’on abandonne ses propres instruments pour n’utiliser que des instruments venus d’ailleurs, ou qu’on commence à oublier ses propres structures modales pour ne jouer que celles des autres.

Certains instrumentistes africains sont fiers de leur basse ou de leur piano. En soi cela n’a rien de spécial ! Mais peut-on être fier d’être colonisé ?

 

 

Ce qui est effarant et ahurissant est que les Africains ne se rendent pas du tout compte de leur aliénation. En effet, le contrepoint du makossa (et du ndombolo, etc.) paraît tellement naturel aux Africains qu’ils ne savent même pas que c’est de la musique tonale, strictement européenne, tant le contrepoint modal africain s’est depuis longtemps fossilisé.

 

 

Les deuils en Afrique sont aussi souvent une occasion pour percevoir l’impacte de la colonisation musico culturelle que connaissent les peuples Africains.Chez les peuples du Littoral Camerounais par exemple, chaque fois qu’il y a un deuil, lors des obsèques, on voit un bonhomme assis derrière un piano électronique, en train de jouer de la musique tonale à caractère funeste, ou, plus généralement, on écoute de la musique tonale préenregistrée dont l’instrument principal est le clavier électronique.

 

 

Il faut être complètement aliéné(e) pour ignorer qu’en Afrique vraie, pour accompagner le défunt vers l’au-delà, l’on installe un orchestre  composé de divers instruments, joue, chante et danse pour marquer le passage du disparu à l’autre monde.

 

 

À l’heure de la globalisation, pourquoi l’Afrique n’existe-t-elle pas ? L’impact de la colonisation est-il si profond qu’on a le droit de se renier ? Pourquoi un bassiste ou un pianiste a-t-il plus de valeur qu’un mvêtiste ou un balafoniste ? Pourquoi en Afrique un batteur a-t-il plus de valeur qu’un percussionniste alors qu’à Cuba c’est le contraire ?

 

 

La Renaissance artistique africaine : il faut maintenant y penser.

 

 

Mais que faire ?... Enseigner la musique à l’École, comme les maths ou la biologie. Enseigner la musique Africaine, avec tout ce que cela implique. Dans les conservatoires occidentaux, ce n’est pas le bikutsi ou le mangambeu que l’on enseigne ; et les premiers instruments que l’on apprend ne sont pas le djembé ou le balafon !

 

 Comment définir la musique Africaine ?

 

La musique africaine est une musique où l’on retrouve : beaucoup de mélodies, énormément de rythmicité, un peu de contrepoint, et pas d’harmonie du tout ! Les accords sont des éléments musicaux empruntés à l’art musical occidental pour enrichir, le cas échéant, les compositions de musique africaine. Mais l’harmonie est devenue une véritable obsession pour certains musiciens africains, au point où, pour ceux-là une œuvre musicale n’a de la grandeur que si elle comporte des accords vraiment recherchés. Comme si on ne pouvait plus jouer de la musique sans accord. Et pourtant, même dans le jazz, l’on joue très souvent sans accord ! Il n’y a qu’à écouter un guitariste comme John Scofield, dont une bonne partie de l’œuvre est complètement dépourvue d’harmonie.

 

 

Il est temps que les Africains arrêtent de consommer ce que d’autres peuples ont passé des siècles à élaborer. Car c’est en effet dès la fin du moyen âge que les Européens se sont sérieusement mis à bâtir l’harmonie tonale, que nous autres Africains nous contentons de consommer. Faut-il rappeler que les trois accords essentiels du makossa sont : I – IV – V (venus d’Europe) ?

 

 

Le rythme est aux Africains ce que l’harmonie est aux Européens. Sauf que la musique africaine n’est pas enseignée. Alors que ça fait quatre cents ans que l’harmonie européenne est étudiée. Les Africains ont pourtant été les premiers, il y a plus de quatre mille ans, à transcrire la musique.

 

 

Alors, l’heure de la renaissance a sonné ! Que musiciens et musicologues se mettent au travail. Que des écoles soient ouvertes, que la musique africaine soit enseignée, afin que la culture africaine puisse rayonner à travers le monde !

 

Mais une dernière question mérite d’être posée : peut-on étudier la musique africaine dans toute sa complexité avec les symboles européens ? C’est comme si on se demandait si  l’on peut écrire les langues africaines, si complexes, avec l’alphabet latin. La réponse risque d’être « non » ; et cela est un autre débat, qui peut d’ailleurs nous conduire un inextricable imbroglio. En tout cas la quasi-totalité de la musique africaine est traduisible à l’heure actuelle par les symboles européens.

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 


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